Après une hausse de 7,1 % en 2023, une hausse du prix de la complémentaire santé française de 8,1 % est prévue pour 2024. Les Alsaciens-Mosellans ne sont pas également touchés par cette inflation, car elle a un impact spécifique sur le système local de sécurité sociale. Les actes médicaux sont généralement mieux remboursés, tandis que les cotisations supplémentaires que doivent payer les citoyens pour financer le système sont en baisse depuis une dizaine d’années.
Ce régime local d’assurance maladie trouve son origine dans l’histoire particulière des départements du Haut-Rhin, du Bas-Rhin et de la Moselle. De 1871 à 1918, la région appartenait à l’Allemagne et bénéficia plus tard de l’assurance sociale allemande, qui permettait le remboursement des frais d’entretien élevés. Après la Grande Guerre, ces dispositions furent traduites en droit français et ce régime spécial fut maintenu.
En 1945, à la Libération, la loi créant la Sécurité sociale française est promulguée. “Nous avons ensuite laissé une place et une influence forte en France aux communs, notamment à travers la mise en place du ticket modérateur, le reste étant payé pour les soins”, explique Nicolas Da Silva, maître de conférences en économie à la Sorbonne. Il existe un système à deux vitesses : le régime général rembourse 70 % des frais de traitement tandis que les 30 % restants sont reversés à l’assurance maladie complémentaire.
Ce régime est moins rentable que le système Alsace-Moselle, qui garantit un remboursement plus élevé. La population se mobilise pour préserver ce système particulier, maintenu temporairement par un décret de 1946. “Nous avons ensuite créé un régime d’assurance maladie complémentaire obligatoire en Alsace-Moselle, soutenu par un régime général”, détaille Francis Kessler, de la Faculté de droit de la Sorbonne. “Le régime local a ensuite été inscrit et intégré en 1991 dans le code de la Sécurité sociale” a ajouté le chercheur.
Ce programme, financé par les cotisations complémentaires versées aux salariés, couvre 100 % des frais d’hospitalisation et 90 % des frais de santé. “Cela laisse un rôle supplémentaire à la complémentaire santé, qui propose des tarifs différents entre l’Alsace-Moselle et le reste de la France” a déclaré Francis Kessler.
Ce régime présente plusieurs avantages indéniables. Tout d’abord, c’est le seul programme français dont le conseil d’administration a le pouvoir de décider du niveau des cotisations. Cette instance est composée en grande partie de représentants des salariés, seuls ceux-ci finançant le plan. “D’un point de vue démocratique, c’est très intéressant”, a déclaré Nicolas Da Silva. Il a été décidé en 2012 de réduire le taux de cotisation de 1,6 % à 1,5 %, puis dix ans plus tard de le ramener à 1,3 %.
Parallèlement, le conseil d’administration décide de l’affectation de la somme collectée. Son excédent est par exemple systématiquement investi dans des politiques de prévention des risques ciblées sur les maladies cardiovasculaires, les cancers ou la santé mentale.
Le financement contributif permet également une meilleure redistribution des richesses. L’assurance maladie complémentaire traditionnelle est en effet financée par des franchises qui augmentent fortement en fonction de l’âge de l’assuré, tandis que les montants des remboursements varient en fonction de l’offre acceptée par le particulier. En revanche, le financement contributif permet aux particuliers – quel que soit le montant qu’ils ont payé – de bénéficier du même remboursement. Une étude menée par la Cour des comptes a montré que le système est plus attractif pour les salariés à faibles revenus, les personnes avec enfants ou les retraités, alors qu’il est plus coûteux pour les célibataires et les salariés les plus riches.
Il existe encore une faiblesse dans ce système : sa dépendance au régime général. “Quand le système général réduit ses prestations, le système local doit augmenter sa contribution”, explique Francis Kessler. En 2023, le remboursement des soins dentaires par le système public passe par exemple de 70 % à 60 %, augmentant ainsi la part du remboursement à la charge du système alsacien de 20 % à 30 %. Les coûts annuels supplémentaires de cette décision sont estimés à 14 millions d’euros. En 1983, un tel précédent avait sérieusement affaibli le régime local, lorsque des tarifs hospitaliers journaliers furent imposés par le régime général. Le système alsacien décide alors de modifier ce forfait, bouleversant fortement son équilibre financier.
Les personnalités politiques vantent souvent les vertus du système local alsacien-mosellan. Lors de l’élection présidentielle de 2012, François Bayrou et Jean-Luc Mélenchon l’avaient évoqué et voulaient s’en inspirer pour réformer le système dualiste français, qu’ils jugeaient générateur d’inégalités. En janvier 2022, le Haut Conseil de l’Assurance Maladie de l’Avenir (HCAAM) a rendu un rapport constatant que 4 % des Français ne disposent pas d’une assurance maladie complémentaire. Ce chiffre s’élève à 13% pour le chômage. De plus, ce système crée une charge administrative : les actions de remboursement doivent être traitées deux fois, par l’Assurance Maladie puis par l’assurance maladie complémentaire.
Dans son rapport, le HCAAM présente plusieurs scénarios pour améliorer le système actuel. L’agence a notamment proposé la création d’une « Grande Sécu », dans laquelle l’Assurance Maladie serait chargée de rembourser l’intégralité du coût des soins agréés, y compris la part qui relève actuellement de l’assurance maladie complémentaire. Le coût de ce scénario est estimé par le HCAAM à 22,4 milliards d’euros.
Cependant, au total, l’élimination des doubles emplois lors du remboursement de la maintenance réduira les coûts d’exploitation du système de 5,4 milliards d’euros. “Ce scénario ne crée pas nécessairement un « écart Secu », car il peut être décidé d’augmenter les cotisations ou les impôts et en contrepartie les ménages paieront moins pour une assurance maladie complémentaire”, pense Nicolas Da Silva.
En fait, le scénario de la « Grande Sécu » est similaire à ce qui existe aujourd’hui en Alsace-Moselle. “Souvent, l’extension du régime local à la France entière est évoquée, mais le gouvernement perdrait le pouvoir et ne l’accepterait certainement pas car ce ne sont pas les salariés qui déterminent le montant de leur cotisation”, explique Francis Kessler. Donc, le régime local “aller plus loin que le scénario « Grande Sécu », sauf pour le remboursement des frais qui ne sont pas couverts à 100 % mais à 90 %” a ajouté le chercheur.