“Science” célèbre les lanceurs d’alerte qui ont fait chuter Didier Raoult

Si la renommée de Didier Raoult s’est en partie bâtie sur ses publications scientifiques, elle a finalement été acquise par la revue Science quand viendra le dernier coup de grâce. Dans un long article publié jeudi 7 mars, la prestigieuse revue a consacré le travail des lanceurs d’alerte qui ont enquêté, critiqué et condamné la fausse étude réalisée par le professeur marseillais.

La lutte de longue haleine, ponctuée de harcèlement et de menaces, s’est longtemps heurtée à l’inaction des institutions françaises. Les six articles, publiés en 2010, ont de nouveau été contestés en janvier 2024 par l’American Society for Microbiology, après que leur rapport ait été réalisé par un groupe de chercheurs anonymes et de personnes issues de divers horizons.

« Cette publication dans Science est une reconnaissance de notre travail, qui a enfin porté ses fruits, déclare Lonni Besançon, maître de conférences à l’Université de Linköping, en Suède. Cela arrive un peu tard, mais nous sommes très heureux, après tous les ennuis que nous avons eu… »

En mars 2020, il faisait partie d’une petite communauté de scientifiques et de médecins qui s’est constituée sur Twitter pour tenter d’avoir un aperçu clair des différentes publications qui circulent sur le Covid. «J’avais au début un préjugé positif à l’égard de Didier Raoult», se souvient Mathieu Molimard, pharmacologue à l’université de Bordeaux. Lorsqu’il a commencé à parler d’hydroxychloroquine, j’ai eu le souffle coupé. Il travaillait dans mon domaine d’expertise, qui est la médecine, et il y avait un problème. La concentration d’hydroxychloroquine nécessaire pour inhiber le virus en culture (in vitro) ne peut pas être atteinte chez l’homme, encore moins en dix jours, c’est pharmacologiquement impossible, donc j’en doute.

De plus, il sait que le médicament peut provoquer des troubles du rythme cardiaque, un symptôme exacerbé par le Covid qui provoque déjà des lésions cardiaques. Il s’entoure alors de ses collègues et ouvre une enquête. “Nous avons tout de suite su qu’il s’agissait d’une fraude scientifique et, surtout, qu’elle présentait un risque pour les patients”, poursuit-il. Cependant, administrer un médicament sans être sûr de ses bénéfices n’est pas autorisé, car il y a toujours des risques ! Nous avons commencé à sensibiliser, et le manque d’efficacité de l’hydroxychloroquine chez l’homme a été confirmé par un autre article début mai 2020. L’étude de l’OMS et l’étude Recovery ont même montré que l’hydroxychloroquine entraînait 11 % de décès supplémentaires.

Une enquête du journaliste Victor Garcia est parue dans L’Express, d’autres suivent sur Mediapart, à Indiquer…Igas le suit et souligne l’anomalie. “L’IHU a multiplié les recherches sauvages, ils ont fait des recherches les uns sur les autres et tous les résultats ont été mauvais”, estime le spécialiste. Ils ont comparé le chou et les carottes, en excluant les patients du panel afin que les résultats soient à leur goût. Ce n’est pas de la science, mais de la croyance !

À partir d’octobre 2020, des manifestations formelles d’inefficacité ont eu lieu et la controverse s’est apaisée. Mais cela refait surface en avril 2023, lorsque l’équipe du professeur Raoult publie une vaste étude faisant état d’un essai de traitement à l’hydroxychloroquine chez 30 000 patients. «Je regarde ce papier, et je vois que le traitement se poursuit jusqu’en décembre 2021», s’insurge Mathieu Molimard. Soit un an et demi après la date d’échéance ! Et cela sans autorisation de mise sur le marché, sans accord du comité de protection individuelle ou de l’ANSM… C’est un essai sauvage et illégal.

L’homme a réuni les principales sociétés savantes de médecine, qui ont signé un forum Monde. Et une nouvelle fois face aux menaces de mort et au harcèlement qui accompagnaient chaque agression contre Didier Raoult. “J’ai reçu beaucoup d’insultes”, a souligné Mathieu Molimard. Les autorités n’ont pas réagi. J’ai certainement entendu dire que l’inefficacité de l’hydroxychloroquine était prouvée. Mais aucun membre de l’équipe de Raoult n’a été inculpé, Raoult n’a reçu qu’un blâme… C’était un signal dramatique d’impunité. Nous sommes revenus à l’époque des saignées, où n’importe qui pouvait tester n’importe quoi sur un patient, sans autorisation, et c’est très inquiétant.

Lonni Besançon, de son côté, a commencé à se poser des questions en constatant les courts délais – parfois moins de 24 heures, contre plusieurs mois habituellement – entre le dépôt de l’étude de l’IHU sur l’hydroxychloroquine et sa validation par une revue scientifique. “Pour moi, le temps de relecture m’a semblé très suspect”, a expliqué le professeur suédois. Cela a également été publié dans les journaux qu’ils contrôlaient… Nous avons publié des articles sur toutes les mauvaises pratiques, regardé de plus près ce que faisait Raoult et commencé à sensibiliser.

Il apprendra ensuite grâce à Fabrice Franck que l’équipe de Didier Raoult utilisait le même numéro d’agrément, « 09-022 », dans 248 études, alors qu’il ne représente qu’une seule demande au comité d’éthique de l’IHU. Leurs conclusions ont été publiées en août 2023 dans une publication de Intégrité de la recherche et examen par les pairs.

Finalement, les lanceurs d’alerte ont réussi à faire tomber les faux résultats de Raoult, mais ils soulignent l’importance pour les organismes scientifiques et les gouvernements d’agir plus rapidement et de prendre de véritables mesures de sécurité contre les dérives scientifiques, médicales et managériales qui ne sont plus à prouver.

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